PCG

PCG

Pages

13 novembre 2016

A propos des discussions sur les sondages

A bien écouter les médias traditionnels et à lire la plupart des textes sur les réseaux sociaux, il semblerait que les sondages d’opinions sont devenus, en une journée (entre le 8 et le 9 novembre 2016), une méthode scientifique désuète et dépourvue de toute sa splendeur d’antan. Beaucoup des analystes affirment, à tort ou à raison, que Donald Trump a fait mentir les 300 sondages d’opinions qui ont tous donné Hilary Clinton gagnante des élections américaines.
Ce n’est pas la première fois que les résultats des sondages électoraux diffèrent des résultats des votes. C’était aussi le cas pour le Brexit (référendum consultatif réalisé en Grande Bretagne sur la sortie dans l’Union Européenne). Alors, comment expliquer cette différence entre les résultats des sondages et la réalité ? Les sondages seraient-ils devenus réellement désuets dans la compréhension de la réalité électorale mondiale ?
Ce présent article est une analyse des différentes limites des sondages d’opinions expliquant le pourquoi de ces différences entre les résultats et proposant des pistes de solution.

Sondage et sondage d’opinion

Tout d’abord, c’est quoi un sondage ?
Le sondage est considéré comme une méthode statistique ayant pour but de mesurer des proportions d’une ou de différentes caractéristiques d'une population à partir de l'étude d'un échantillon de celle-ci (seulement une partie de la population). Ici, on entend par population l’ensemble des éléments sur lesquels les caractéristiques seront mesurées.
En marketing et dans les élections, le sondage d’opinion constitue une application des techniques de sondages à une population humaine afin de déterminer les préférences des individus de cette population en étudiant un échantillon de cette dernière.

Les limites inhérentes à tout sondage d’opinions

Les sondages d’opinions constituent une méthode scientifique très utilisée par beaucoup d’organismes et d’institutions. Cette méthode leur fournit beaucoup de solutions à des problèmes dont ils faisaient face comme comprendre les désirs des consommateurs en Marketing ou comprendre les intentions de vote des potentiels électeurs dans le cadre de la réalisation d’une élection.
Aussi utiles que puisse être un sondage d’opinion, il regorge de limites qui méritent d’être pris en compte dans leurs analyses. Les limites qui sont inhérentes à tous les sondages d’opinions sont :

1-  Echantillonnage, niveau de confiance et marge d’erreur

Le sondage utilise un échantillon (une partie) de la population cible pour mesurer les opinions ou préférences de cette partie. Les opinions mesurées sont alors extrapolées à toute la population sous certaines conditions. Ces conditions sont celles qui ont été prises en compte dans le calcul de l’échantillon à interviewer.
L’une de ces conditions est le niveau de confiance choisi. Etant réalisé sur seulement une partie de la population, il ne sera pas possible de savoir avec une confiance de 100% si les opinions mesurées correspondent aux opinions de la population. Le niveau de confiance est cet élément qui permet d’inclure dans le sondage la probabilité de se tromper dans le choix de l’échantillon.
La plupart des sondages utilisent un niveau de confiance de 95% donc un risque de se tromper de 5%. Ce qui signifie qu’en faisant le choix aléatoire de l’échantillon, en moyenne 5 fois sur 100 (en supposant que 100 échantillons aléatoires ont été tirés), les opinions mesurées peuvent ne pas correspondre aux opinions de la population. Quand l’échantillon est bien choisi c'est-à-dire que les opinions mesurées correspondent aux opinions de la population, il est dit représentatif de la population. Dans le cas contraire, il n’est pas représentatif.
La marge d’erreur est un autre paramètre qui est utilisé dans le calcul de l’échantillon. Et cette marge d’erreur permet de construire des intervalles dans lesquelles devraient se trouver le vrai pourcentage des opinions de la population si l’échantillon est représentatif. Il est donc primordial d’utiliser les intervalles de confiance dans l’analyse des opinions car ils permettent de cerner dans quelle fourchette devrait se trouver le pourcentage réel des opinions.
Par exemple, pour un sondage électoral avec une marge d’erreur de 3% où le candidat X a obtenu 46% des intentions de vote et le candidat Y 44.5%. Les intentions de votes réels de la population devraient se situer entre 43% et 49% pour le candidat X et entre 41.5% et 47.5% pour le candidat Y si l’échantillon est représentatif. Dans un cas pareil, il ne serait nullement étonnant que le candidat Y obtienne plus de voix que le candidat X car les vraies intentions de vote peuvent être de 44% pour le candidat X et 45% pour le candidat Y (compris dans les intervalles de confiance).
Donc l’analyse des pourcentages (estimation ponctuelle) uniquement n’est pas complète et ne permet pas toujours de savoir avec exactitude qui a réellement plus d’intentions de votes (surtout quand l’écart entre les candidats n’est pas grand).

2-  Hypothèse de vérité

L’un des fondements des sondages d’opinions résident dans le modèle béhavioriste supposant que les individus de l’échantillon qui seront interviewés vous diront la vérité sur leurs opinions. Or, il est tout à fait possible que, pour des raisons inconnues, certains des interviewés ne vous révèlent pas leurs réelles opinions ou que les opinions révélées lors d’un sondage changent en fonction des informations reçues par l’individu après l’interview. Il est même possible que choisir entre deux ou plusieurs candidats ne tient qu’à un fil pour l’interviewé.
Dans un cas pareil, la mesure des opinions de l’échantillon peut ne pas refléter les opinions de la population au moment des votes.

3-  Temps de validité

Les enquêtes d’opinions présentent les résultats des opinions collectées sur l’échantillon pendant la période de collecte. C’est donc une photo ou un instantané des opinions des interviewés pour une période spécifique. Les sondages sont donc valides uniquement pour la période de collecte des informations.
Beaucoup de facteurs peuvent modifier les opinions et les préférences des interviewés entre la période de réalisation d’un sondage électoral et les élections.  C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les candidats intelligents utilisent les résultats des sondages électoraux pour mieux comprendre leurs forces et leurs faiblesses et essayer de se renforcer dans les lieux où ils sont faibles.
Dans une pareille dynamique, il n’est pas étonnant de voir des candidats faire mentir les sondages. Car, premièrement, les sondages réalisés avant les élections n’ont aucune validité le jour des élections en raison du caractère changeant des opinions des humains ; et deuxièmement, les résultats sont utilisés pour modifier les opinions des individus de la population.

Vers des résultats plus précis

Les limites inhérentes aux sondages et le caractère changeant des opinions des humains rendent plus difficiles la compréhension des préférences de la population. De ce fait, des études statistiques plus approfondies méritent d’être réalisées en utilisant des méthodes quantitatives et qualitatives afin de mieux cerner les préférences de la population cible.
Il ne faut pas cesser d’utiliser les techniques de sondages dans la compréhension des opinions comme dans le cas des sondages électoraux. Par contre, il faut analyser les résultats en fonction de la marge d’erreur utilisée dans le cadre du calcul des échantillons et il faut relativiser les résultats sachant que les opinions et préférences des individus sont changeantes.
Notez bien qu’un sondage électoral ne dit pas quel sera le résultat des élections ! Au contraire, il renseigne sur les intentions de vote des électeurs à un moment précis et sert d’outil d’aide à la décision stratégique en vue de changer les opinions.
Les sondages d’opinions ne tombent pas en désuétude. C’est la compréhension et les attentes du monde des résultats des sondages qui doivent évoluer !!!


      Auteur : Pierre Philippe Wilson REGISTE
Contact : pentagoneconsultinggroup@gmail.com

18 octobre 2016

Critiques sur le dernier sondage du BRIDES


Réaliser des sondages électoraux en Haïti devient, depuis quelques années, très récurrent. Ils sont commandités par des candidats ou des personnes anonymes ou encore ils sont généralement réalisés par des firmes de consultation expertes en la matière.
Dans ce domaine, le Bureau de Recherche en Informatique et en Développement Economique et Social (BRIDES), est l’une des firmes haïtiennes ayant produit le plus de sondages électoraux. Son dernier en date, réalisé entre le 28 septembre et le 1er octobre 2016, a provoqué  beaucoup d’interrogations au niveau médiatique et des cercles intéressés de la société civile. Ce qui nous a incité à consulter le document « Cartographie Electorale et Politique du BRIDES Elections 2016. Troisième Sondage national d’opinions renseignant les Citoyens et Citoyennes sur les possibilités de vote pour des candidats à la présidence, au sénat et à la députation aux prochaines élections. Sondage du 28 septembre au 1er Octobre 2016 » et à écrire le présent article. Nous mettrons en exergue quelques faiblesses techniques décelées au niveau dudit document.
Rappelons, tout d’abord, qu’un sondage électoral est un cas particulier de sondage d'opinion (ou encore enquête d'opinion). Lequel est  une application de la technique des sondages sur un groupe humain visant à déterminer les opinions (ou les préférences) probables des individus le composant, à partir de l'étude d'un échantillon de cette population. Cela dit, comme toute étude scientifique, le sondage électoral a ses limites et peut évidemment contenir certaines failles ou faiblesses techniques.
Au niveau dudit document, en parlant de faiblesses, il y a lieu de mentionner et d’analyser ce qui suit :
1.            Aucune précision sur la méthode de choix des Sections d’Enumération (SDE)
Nulle part dans le document, le BRIDES n’a indiqué la méthode utilisée pour choisir les 476 SDE où les personnes ont été interviewées. Cette information est, pourtant, très importante car le choix des SDE est le premier niveau d’échantillonnage utilisé par cette firme pour mener son sondage.
Mal choisir les SDE revient à avoir un échantillonnage biaisé dès le départ. Alors, pourquoi n’y a-t-il aucune précision sur la façon de faire ce choix? 
2.            Choix des circonscriptions comme le plus bas niveau de représentativité et marge d’erreur de plus de 10%
Le choix du nombre de personnes à interviewer est fait sur la base des circonscriptions électorales. En effet, le document a précisé ce qui suit : « L’échantillon est constitué de 13614 à raison environ de 100 personnes par circonscription électorale constituée d'une seule commune et environ 150 pour des circonscriptions électorales constituées de 2 ou 3 communes ».
Ce choix comporte plusieurs problèmes majeurs.
Premièrement, le choix n’ayant pas été réalisé sur la base du nombre d’électeurs par circonscription induit des taux d’erreur élevés (plus de 10%) au niveau de chaque circonscription. Or, un sondage avec plus de 10% d’erreur n’est vraiment pas précis.
Si des intervalles de confiance sont réalisés pour chaque candidat avec cette marge d’erreur pour les résultats des candidats à la députation, des candidats au sénat et des candidats à la présidence au niveau de chacune des circonscriptions, il sera très difficile de savoir où un candidat dépasse réellement un autre dans une circonscription. Par exemple, le candidat A obtient 30% des intentions de vote et le candidat B 13% au niveau de la circonscription X avec 10% comme marge d’erreur signifie que le candidat A possède une marge des intentions de vote réelles entre 20% et 40% et le candidat B entre 3% et 23%. Donc, il se peut que le candidat B possède, en réalité, plus de partisans qui vont le voter que le candidat A si le vrai pourcentage pour le candidat A est 21% et le candidat B 22%, tous compris dans l’intervalle de confiance des deux candidats.
Deuxièmement, le nombre de personnes interviewées au niveau de chaque département devient fonction du nombre de circonscriptions que comporte le département et non du nombre d’électeurs potentiels au niveau du département. Ainsi, le Nord a eu beaucoup plus de personnes interviewées que l’Artibonite alors que ce dernier a presque deux fois plus d’électeurs potentiels que le département du Nord[1].
3.                       Inadéquation entre la formule utilisée pour déterminer l’effectif des individus et le nombre de SDE au niveau de chaque circonscription électorale.
Au niveau de la méthodologie, il est écrit que : « d’abord l’échantillon est constitué de 13614 à raison environ de 100 personnes par circonscription électorale constituée d'une seule commune et environ 150 pour des circonscriptions électorales constituées de 2 ou 3 communes. Ensuite, les ménages ont été choisis au sein des SDE à raison de 25 par SDE ». Les 13614 ménages ont donc été tirés de 476 SDE (4*119).
Ce qui est anormal !
Cette formule marche effectivement pour  une circonscription électorale constituée d’une seule commune (100 ménages =25ménages/SDE * 4 SDE), par contre ce n’est pas le cas pour les circonscriptions composées de 2 à 3 communes (150 ménages ≠ 25 ménages par SDE * 4 SDE).
De fait, la formule du nombre total de SDE retenu devrait être : 
Z=4*X+6*Y
Avec :
Z : Nombre de SDE retenus
X =Nombre de circonscriptions avec une seule commune
Y = Nombre de circonscriptions avec 2 ou 3 communes
On aurait eu plus de 476 SDE au total si effectivement 25 ménages étaient choisis par SDE.
4.                       L’unité statistique choisie et la méthode de tirage
 «  Au sein de chaque ménage une personne de 18 ans et plus est choisie au hasard suivant la méthode de Kish ».
Le ménage est  donc choisi comme unité de base de l’échantillonnage. En choisissant une personne par ménage, le chercheur déduit-il de manière implicite que le choix de cette personne représente celui du ménage ? Or dans la société haïtienne, aucune étude, à notre connaissance, n’a permis de conclure qu’à l’intérieur d’un ménage, le choix, lors des élections, est uniforme.
De plus, en appliquant la méthode de KISH pour tirer un individu au sein des ménages sélectionnés, à l’intérieur d’une même SDE, la probabilité qu’un potentiel électeur soit interviewé est fonction du nombre de personnes éligibles dans son ménage. Les potentiels électeurs n’ont donc pas la même probabilité d’être tirés.
Par exemple, la probabilité de tirer un individu éligible au niveau d’un ménage avec 2 personnes éligibles est de 1/2 or dans un ménage avec 5 personnes éligibles, il est égal à 1/5.
Il n’est donc pas trop commode d’utiliser les résultats de ce sondage pour extrapoler sur la population des potentiels électeurs. Il n’est même pas possible de l’extrapoler sur la population des ménages.
5.       Taux de Participation et taux de détention de carte électorale
Considérant les tableaux 5 et 6 du document en question, le taux de détention de carte électorale et le taux de participation aux élections à venir sont respectivement de 98.6% et de 96.2 %.
Tandis que :
-          D’une part, au sein de la population totale, au regard des élections du 25 Octobre 2015, le taux de participation tournait autour de 30% à 32.5%, selon l’Organisation des Etats Américains (OEA)[2] et l’Observatoire Citoyen pour l’Institutionnalisation de la Démocratie (OCID)[3] ; Faire un bond à plus de 95% de participation relèverait du miracle, compte tenu des taux habituels de participation.
-          D’autre part, le taux de détention de carte électorale en Haïti est d’environ 86.5%. En effet, selon les données disponibles sur le site de l’Office Nationale d’Identification (ONI), 5,447,111 personnes ont une  carte et la population âgée de plus de 18 ans selon l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI) est de 6,296,351.00.
Ce qui montre une fois de plus qu’il existe des biais considérables au niveau de l’échantillon tiré.
CONCLUSION
En dépit de ces faiblesses constatées, ce sondage présente des données qui peuvent être exploitées et utilisées avec beaucoup de précaution. De plus, conscient que les statistiques deviennent de nos jours, un outil incontournable dans les prises de décisions, réaliser des sondages électoraux est une initiative à encourager !

De fait, Il serait très intéressant que d’autres firmes évoluant dans ce domaine organisaient elles aussi des sondages avec des méthodologies plus appropriées.


Radjiv Thaylor ZEPHIRIN                                                      Pierre Philippe Wilson REGISTE
                                                     




[1] IHSI, Population totale, 18 ans et plus, ménages et densités estimés en 2015, Mars 2015, p.21
[2] http://www.hpnhaiti.com/site/index.php/politique/17175-haiti-elections-taux-de-participation-30-loea-appelle-au-calme
[3] http://ayitinews.com/haiti-elections-un-taux-de-participation-de-32-5-selon-locid/

28 septembre 2016

Jeunesse, Émergence et innovation (JEI)

M’inspirant de la fameuse assertion du général Douglas Marc-Arthur : “la jeunesse n’est pas une période de la vie. Elle est un état d’esprit, un effet de la volonté, une qualité de l’imagination, une intensité émotive, une victoire du courage sur la timidité, du goût de l’aventure sur l’amour du confort. On ne devient pas vieux pour avoir vécu un certain nombre d’années, on devient vieux parce qu’on a déserté son idéal[..]”. Je me suis souvent mis à réfléchir sur ce qu’est la jeunesse pour ceux qui disent tout le temps : « jeunes, vous êtes l’espoir de ce pays, moi j’ai déjà tout essayé et ce pays-là est difficile, il est temps que vous changiez de conception pour permettre à Haïti de renaître ». Comme si la renaissance d’Haïti dépendrait d’un simple souhait de la génération d’avant à la génération d’après. Or l’idéal actuel de la grande majorité des jeunes haïtiens ne font que se conforter à l’esprit de ces gens des générations perdues qui n’admettent pas le fait qu’il n’y a pas de génération spontanée et que normalement l’état actuel de cette jeunesse de laquelle ils se plaignent dépend des conséquences de leur pauvre inconséquence. Ceci résulte du fait qu’ils n’ont pas pu prendre conscience qu’ils étaient devenus vieux parce qu’ils ont toujours déserté leur idéal qui serait consisté en un sacrifice générationnel en vue d’assurer ce passage de flambeau pour d’autres sacrifices dans le bonheur du pays.
C’est à se demander aussi si rien que le fait de dégager sa prise de conscience du manque d’idéal de la jeunesse actuel puisse servir de tremplin idéologique à cette renaissance que l’on souhaite. Alors que la jeunesse suit des modèles transmis par les générations passées, d’où cette difficulté à conserver dans leur esprit le courage de dépasser l’appât du gain, l’amour du confort, la peur du lendemain, l’envie de se tailler un poste, une place dorée pour ne faire que s’enrichir au détriment de la majorité d’autres jeunes. Et ceux qui se réclament défenseur de ce changement, vont dédier sans conviction aucune aux jeunes les plus naïfs les mots propagandistes d’élection, crématoire manipulatoire de certains rêves « nan pouvwa sa, nou pral panse pou tout jèn, avni peyi sa » quand la folie du pouvoir devient le coup stratégique. Je me demande alors pourquoi ces gens-là pensent qu’il y’aurait une jeunesse après une course à la richesse sans vraiment montrer par la suite l’effet de leur volonté de refuser le statu quo, constituant le néant d’esprit empêchant aux jeunes de s’ouvrir autrement vers l’avenir sans crainte du lendemain.  Un lendemain où le seul espoir qu’on peut nourrir se résume en la possession d’une grande maison, des voitures, entretenir des femmes ou des « gars » ça et là, voyager sans relâche.
Il y’a une fuite vers le paradis destructeur de cette pauvre jeunesse haïtienne piétinée, manipulée, non formée, non citoyenne et non conscientisée par l’ampleur des difficultés dans lesquelles pataugent un ensemble de gens de ce pays n’ayant aucune foi en un lendemain meilleur pour tous et pour toutes ,réduisant leur étude à un simple passage vers un prétendu luxe, sans réceptivité pour pouvoir se sentir concernés en vue de rompre avec certaines vielles conceptions(sèl mwen pa ka chanje peyi sa),et très pessimistes puisqu’ils se voient exclus ou dépendants de ces vieilles habitudes de ces pauvres gens qui ne font que prendre Haïti comme une terre de transit et non comme leur propre patrie. C’est ce qui me pousse à dépasser ce cadre de pensée afin d’arriver à imposer à l’esprit une discipline pour réfléchir à une possible innovation en vue d’atteindre un seuil d’émergence susceptible d’animer notre quête d’idéal.
Les réflexions à ce point vont spécifiquement se centrer sur trois termes clés qui s’imbriquent : Jeunesse-Emergence-Innovation. (JEI)
Pour ajouter à la réflexion de Marc Douglas, il convient de dire qu’être jeune, c’est être enthousiaste, ouvert d’esprit, sûr de soi et de son pays, remettant en question le statu quo, croyant en un lendemain meilleur moyennant sa participation sans réserve aucune. Le jeune est donc celui qui préfère désobéir pour combattre l’injustice, qui lutte pour décider de sa vie et de l’avenir de son pays, qui est prêt à se livrer dans une lutte à mort pour la patrie et qui croit vraiment qu’il a le pouvoir de changer la société. A cet effet, que dire de notre jeunesse qui croupit sous le poids du passé de leurs ainés ? Comment peut-on envisager un changement de paradigme si seulement on ne s’engage pas de manière acharnée à lutter pour une nouvelle manière de faire, une nouvelle façon de se concentrer sur un idéal qu’ensemble on devrait construire ; sans envisager des ruptures à certaines formes de pensées qui retardent et empêchent d’espérer ? Pour cela, il conviendrait de développer un esprit innovateur.
L’innovation est le premier niveau d’engagement à prendre par les jeunes de ce pays, puisqu’il sera tout à faire nécessaire d’émerger par un « choc du renouveau » afin d’évacuer toute peur, toute inquiétude en évitant à ce qu’on fasse face à la difficulté de voir que chacun adopte personnellement une attitude par rapport à ce qui les attend demain. Il faut se porter garant de l’aurore d’un changement qu’ensemble, par l’intermédiaire des directives définies, on puisse se construire au moment où tout jeune se sent sensibilisé par l’urgence de se sacrifier pour les générations à venir. D’ailleurs, il faut dire que le but de toute innovation c’est d’améliorer l’existant par un changement d’usages et d’habitudes, par un dépassement des coutumes drôlement conservées dans les rouages de l’ancienneté tranquille qui constitue un véritable blocage à nos progrès d’esprit. Ainsi, il faut dire qu’il importe de se faire sentir en tant que jeune pour être reconnu comme existant dans un milieu social où des gens se sentent condamnés à préserver le statu quo. L’innovation ne sera jamais possible que s’il y’a convergence des conceptions des gens alarmées par la situation, ajoutons la bribe de Phrase de la revue Pluriel #3 sortie en janvier 2010 sous le titre « L’Innovation ou le choc du renouveau » :
 « L’idée géniale ne se trouve pas toute seule dans un coin. Elle naît puis mûrit de la rencontre fortuite et spontanée entre des divergences, des échanges ouverts, des interactions inédites entre les intelligences. Elle prend sa source dans les contrastes et les imprévus. »

Par le biais de ce travail, sans attendre que ce soit des gens de toute génération qui nous identifient en tant que jeunes, nous serons émergés au sein de la société et notre image sera tenue par tous les citoyens et citoyennes désireux (ses) du changement. L’émergence de la jeunesse au sein de la société haïtienne doit inévitablement passer par de nouvelles manières de faire, d’agir et par l’insertion en notre inconscient d’un idéal clairement défini selon des valeurs haïtiennes adaptées à notre réalité anthropo-sociale. On doit poursuivre ensemble cet idéal, car on cessera de voir en nos idées des illusions lorsqu’on que nous soyons assez cohérents, organisé, décidé, alors serons-nous aussi nombreux qu’il le faut à soutenir cet « idéal construit ».
Comme le souligne l’école philosophique britannique d’émergence, il importe de lier l’émergence à la nouveauté que puisse mobiliser notre créativité naturelle qui sera rendue possible par nos différents dépassements. Ces derniers auront des effets imprévisibles et imprédictibles sur la société qui se verra s’engager dans l’effort de transcendance. Tout cela sera possible si ensemble on s’engage à la poursuite de l’idéal construit sans crainte du lendemain.
Charly Camilien VICTOR

Etudiant en Psychologie et en Sciences économiques

23 septembre 2016

Les résultats des élections de 2016 pourraient être disponibles le 10 octobre

Scrutin non-electronique 

Dans tout pays où le système de vote est totalement électronique, les résultats des élections ne se font pas attendre et sont disponibles le soir même des élections ou dans 24 heures au plus tard. Par exemple, au Brésil, en 2002, le vote électronique a été utilisé à 100% et les résultats étaient disponibles dans 24 heures.
Si un pays utilise le vote par internet[1], ce système permet même de connaitre les résultats au fur et à mesure que le vote se déroule.
En Haïti, le système de vote utilisé depuis 1990 est le vote manuel où chaque votant doit remplir son bulletin de vote et le déposer dans une urne placée à cet effet. Le dépouillement des bulletins de vote est réalisé le soir même[2] et un procès-verbal est dressé pour chaque bureau. Le procès-verbal produit en 6 exemplaires[3] contient les résultats d’un bureau de vote détaillé pour chaque candidat. La vérification et la tabulation de tous les procès-verbaux prennent un temps fou à cause surtout du temps d’acheminement de ces derniers provenant de tous les recoins du pays au centre de tabulation se trouvant dans la commune de Delmas. Par exemple, les résultats des élections du 25 octobre 2015 n’étaient disponibles que le 5 novembre (11 jours après).
Il parait évident que le temps de disponibilité des résultats d’une élection dépend en grande partie du système de vote utilisé par le pays en question.
Ce document n’est pas un plaidoyer en faveur de l’établissement du vote électronique en Haïti. Il est, de préférence, un document démontrant qu’en utilisant le système de vote actuel, il est possible que les résultats des élections soient disponibles le jour suivant le jour du scrutin.

Transmission électronique des procès-verbaux

Le processus de production des résultats des élections, en Haïti, peut se résumer ainsi :
-          Pour chaque bureau de vote, un procès-verbal plastifié (physique) est envoyé au Centre de tabulation.
-          Le Centre de tabulation utilise les prescrits de l’article 171.1 du décret électoral pour juger de la validité de chacun des procès-verbaux reçus.
-          Le Centre de tabulation compile les données des procès-verbaux valides pour arriver aux résultats des élections.
Donc le processus débute avec la réception des procès-verbaux.
Or selon l’article 169.2 du décret électoral du 2 mars 2015, « le BEC, qui reçoit les procès-verbaux physiquement ou électroniquement de tous les superviseurs principaux dans les centres de votes[4], est tenu d’utiliser les nouvelles technologies de l’information mises à sa disposition par le CEP afin de transférer électroniquement et dans l’immédiat les procès-verbaux de dépouillement destinés au Conseil électoral provisoire pour le Centre de tabulation en attendant que les originaux plastifiés arrivent à destination ».
Donc, aucun article n’empêche la transmission électronique de tous les documents nécessaires (procès-verbal, Liste d’émargement partiel, procès-verbal de carence et procès-verbal d’incident) au Centre de tabulation. Les articles du décret électoral le permettent en fait.

Compilation automatique des procès-verbaux

Le système proposé utilise un outil déjà mis en place par la Commission Indépendante d’Evaluation et de Vérification Electorale (CIEVE).
A l’aide de l’application ODK disponible sur toutes les tablettes Android et d’un serveur interne au niveau du Centre de tabulation ou d’un serveur externe, les données des procès-verbaux pourront être saisies en utilisant une forme et les documents pourront être photographiés pour une transmission électronique au Centre de tabulation. Ce travail pourrait être réalisé par un ou deux superviseurs affectés à chaque centre de vote le jour du scrutin, le 9 octobre, après les dépouillements au niveau des bureaux de vote.
L’utilisation d’une forme sur l’application ODK permettra de compiler automatiquement les résultats de tous les procès-verbaux saisis et de recevoir automatiquement tous les documents par voie électronique.
Avec ce processus, un premier résultat pourra être disponible le soir même du vote. Mais attention, ce résultat tiendra compte de tous les procès-verbaux, y compris ceux qui seront, éventuellement, non valides selon les prescrits de l’article 171.1 du décret électoral.

Vérification de la validité des procès-verbaux

Peu importe le serveur utilisé et la base de données de réception des données, des 14 points pouvant produire la non-validité d’un procès-verbal, 3 points (données de vote manquant, votes non saisissables, nombre total de votes supérieur au nombre total d’électeurs prévus) pourront être vérifiés automatiquement et pourront entraîner la mise à l’écart automatique des procès-verbaux ne respectant pas ces 3 points. Les onze autres points devront être vérifiés en utilisant un traitement et un jugement humain sur chacun des procès-verbaux reçus électroniquement ou physiquement.
Les résultats préliminaires qui peuvent être disponibles le soir même des élections comprendront, donc, les procès-verbaux pour lesquels sauf un traitement humain permettra de les écarter.
Comment arriver à vérifier tous les procès-verbaux en une journée au maximum ? Il suffit de décentraliser le système de vérification au niveau des BEC. De par l’expérience des élections en Haïti, les procès-verbaux destinés aux BEC arriveront avant une journée au niveau du BEC. Donc, il est possible de débuter avec la vérification des procès-verbaux au niveau des BEC le soir même des élections et terminer avec cette vérification le lendemain au plus tard.
La même application ODK permettra de mettre à l’écart tous les procès-verbaux jugés non-valides et les résultats seront disponibles le 10 Octobre au soir au plus tard.

Conclusion

Les résultats préliminaires des élections de 2016 peuvent être disponibles 24 heures après les élections en utilisant un processus électronique de saisie des données des procès-verbaux et de photographies des documents avec l’application ODK qui est déjà utilisée par la CIEVE lors de la vérification.
Le décret électoral du 2 mars 2015 permet d’avoir le transfert électronique des documents. Le seul problème réside dans la vérification de 11 des 14 points pouvant induire la non-validité d’un procès-verbal qui ne peut pas être réalisé automatiquement. Néanmoins, une vérification décentralisée des procès-verbaux au niveau des BEC permettra d’avoir l’épuration et la disponibilité des résultats préliminaires le lendemain du jour du scrutin. Donc le 10 octobre 2016.
Les résultats des élections de 2016 peuvent être disponibles 24 heures après la fin du scrutin et nous disposons de toute la technologie nécessaire pour le faire en Haïti.

Auteur : Pierre Philippe Wilson REGISTE
Contact : pentagoneconsultinggroup@gmail.com



[1] Il est à noter que le vote électronique est différent du vote par internet.
[2] Article 162 du décret électoral du 2 mars 2015
[3] Article 169 du décret électoral du 2 mars 2015.
[4] Article 169.1 du décret électoral du 2 mars 2015.

24 février 2016

TAUX DE CHANGE, TAUX DE CHANGE, ENCORE LE TAUX DE CHANGE…

Alors que certains croyaient que le marché des changes s’était stabilisé, que la Banque Centrale reprenait le contrôle (avec les dernières mesures sur les réserves obligatoires…), la valeur de la gourde a recommencé à dégringoler depuis quelques semaines. Aujourd’hui, le taux de change a presqu’atteint la barre des 61 gourdes pour 1 dollar. Cette nouvelle envolée du dollar pourrait être encore plus fatale (si le mot n’est pas trop fort), puisqu’elle a eu lieu dans un contexte de fête : qui est censé être une période de vaches grasses pour les entreprises. Les conséquences économico-sociales (manque à gagner pour l’État, dégradation conditions de vie) d’une instabilité du change en fin d’année sont donc susceptibles d’être plus importantes.
            Vu le poids des produits importés dans le panier de consommation des ménages (en  considérant particulièrement les produits alimentaires), la volatilité du taux de change contribuera certainement à la réduction du niveau de bien-être de la population, puisqu’elle aura des impacts significatifs sur les prix, et aussi sur la demande. En effet, avec 1 USD un Haïtien sera en mesure d’acheter de moins en moins de biens. Il disposera par conséquent de moins en moins de moyens de subvenir à ces besoins.
En considérant ces faits, si l’État haïtien a vraiment la volonté de garantir le pouvoir d’achat des ménages, il est plus que capital qu’il se penche sur la question du change. Il doit être en mesure non seulement d’identifier les facteurs qui provoquent la montée fulgurante du taux mais aussi y apporter des solutions durables. Sans ces actions, l’économie haïtienne continuera d’évoluer avec un couteau sous la gorge, tout simplement.
Ainsi, cet article se propose d’une part d’essayer d’identifier les causes de l’instabilité de change durant l’année 2015, d’autre part d’apporter des solutions de court, moyen et long terme. En considérant la période 2014-2015, il tentera de mettre en évidence les facteurs qui ont été à la base de la perte de valeur de la gourde, en prenant  en compte la situation macroéconomique et les trois catégories d’acteurs impliqués directement (les entreprises[1] et les ménages, l’État, les banques). Bien entendu, il étudiera aussi les facteurs servant à y remédier.
Situation macroéconomique
Les premiers éléments à analyser pour mieux cerner la réalité du marché des changes en Haïti sont notamment les variations de l’offre[2] et la demande de dollars[3] ainsi que la différence entre cette offre et cette demande. De 2014 à 2015, la quantité de dollars disponibles sur le marché des changes est passée de 4299.62 millions de dollars à 4552.94 millions[4] (augmentation de 253 millions de dollars) alors que la quantité de dollars demandée a augmenté de seulement 242 millions (en soustrayant les dollars générés par les placements à l’étranger). En d’autres termes, de 2014 à 2015, l’économie haïtienne a générée suffisamment (et même plus) de dollars supplémentaires pour couvrir l’augmentation de la demande de dollars pour cette même période. Cet état de fait se reflète aussi dans l’écart entre la quantité de dollars demandée et la quantité disponible, qui est passé de 516 millions en 2014, à moins de 20 millions[5] en 2015. En outre, la diminution de cet écart est constatable depuis 2011, où il était de 711.61 millions de dollars. Cela signifie que, de 2011 à 2015, le marché demande de moins en moins de dollars, comparé à ce qu’il offre aux utilisateurs de dollars. Par conséquent, il satisfait de plus en plus facilement les besoins en dollars.
En  se basant sur ces considérations, l’on se demande pourquoi y a-t-il eu une rareté des dollars et pourquoi la Banque Centrale a dû vendre près de 88 millions de dollars aux banques commerciales entre Octobre 2014 et Septembre 2015, et près de 25 millions d’Octobre à Novembre 2015. Pourquoi le taux de change a malgré tout continué à grimper ? En effet, la réduction de l’écart entre l’offre et la demande de dollars ainsi que les interventions de la BRH impliquent que le dollar devrait être de moins en moins rare. Par conséquent, son prix (reflétée à travers le taux de change) aurait probablement dû diminuer. Pourquoi avons-nous cependant constaté la situation inverse ?
L’une des autres tentatives d’explications de ce phénomène réside dans les dépenses de l’État. Il faut rappeler que si ces dépenses sont orientées vers l’extérieur, elles drainent beaucoup plus de dollars, que si elles soutiennent le marché local. En analysant le Tableau des Opérations Financières de l’État (TOFE)[6], l’on constate que depuis 2012, le poids des dépenses totales de l’État par rapport au PIB nominal a diminué substantiellement (passant de 35% du PIB à 22% en 2015). Que l’on considère les dépenses d’investissement ou les dépenses courantes, cette diminution est aussi constatable. De plus, en poussant l’analyse, l’on découvrira que les recettes courantes ont pesés 12.1% du PIB en 2014 (12.9% en 2012) alors qu’elles pèsent 13.3% en 2015. La combinaison de ces deux (2) aspects résulte en une diminution du déficit de l’État (le solde courant est passé de 0.5% du PIB en 2014 à 2% du PIB en 2015).
L’évolution de ces indicateurs suggère qu’il est difficile de déclarer, sans une analyse en profondeur, que les dépenses de l’État auraient provoqué une montée aussi brusque du change (cela à deux reprises), alors que leur poids (%PIB) a diminué considérablement. Tout en ne mettant pas de côté les possibles effets des élections, ces dernières ne peuvent pas entièrement expliquer l’augmentation rapide du taux de change, en 2015, puisqu’une partie considérable du financement pour les élections proviennent des bailleurs de fonds.
Si l’explication des dépenses publiques est assez bancale, il est important de rechercher l’explication dans le fonctionnement des banques, pour découvrir s’il y a des mouvements spéculatifs. Mais avant toute chose, il conviendrait d’analyser les réserves de changes des banques commerciales, c’est-à-dire la quantité de réserve de dollars détenus par chacune de ces banques. Cette analyse permettra de savoir quelles sont les banques qui sont les plus en mesure d’influencer le marché des changes et jouer sur le taux de change.
Les données disponibles nous permettent d’entrevoir un phénomène inquiétant. Depuis Octobre 2014, les réserves de change des deux (2) premières banques du système représentaient environ 60%[7] des réserves de change du système bancaire: 33% pour la 1ère banque, 26% pour la 2ème.  En d’autres termes, sur chaque 100 dollars US de réserves, la 1ère banque en possède 33 et la 2ème en possède 26. Cela signifie, que ces banques possèdent déjà un stock de dollar assez important, qui leur permettrait de jouer si elles le voulaient sur le le taux de change. Qui pis est, depuis 2014, les gains de change de ces deux (2) banques représentent  environ 56%[8] des gains de change de toutes les banques commerciales (33% pour la 1ère banque). Ce sont donc ces banques qui profitent le plus des transactions d’achat et de vente de dollars, et qui profiteraient le plus d’une augmentation du taux de change.
Deux autres remarques peuvent être faites. La première est plutôt une suite d’interrogation. Lors des interventions de la BRH (vente ou achat de dollars), quelles sont les banques qui achètent le plus ? Pourquoi la BRH ne permet pas au grand public d’avoir accès à ces informations? Pourquoi dans un contexte de pression sur le change, la BRH vend des dollars aux deux (2) banques citées ci-dessus ? À tire d’illustration, entre Octobre 2014 et juillet 2015, la BRH a vendu près de 68 millions de dollars aux banques, pour contenir le taux de change. Paradoxalement, les banques commerciales ont retiré de la circulation, près de 63 millions de dollars (à travers les opérations d’achat et de vente de dollars).[9] Ceci laisse supposer que les banques préférèrent stocker les dollars au lieu de les mettre en circulation. Alors, pourquoi entre octobre et novembre 2015, la BRH a continué à vendre des dollars (24 millions) en utilisant la même méthode, sans se préoccuper de cette situation ?
Le deuxième fait marquant concerne la 1ère banque du système. Comme indiqué antérieurement, à elle-seule, elle détient 33% des réserves de dollars du système. L’un des faits constatés avec cette banque, c’est qu’elle affiche généralement des taux de change plus élevés que toutes les autres banques. Depuis 2014, elle a toujours été la première banque à relever son taux (1 ou 2 semaines après, les autres banques la suivent), ceci malgré le poids de ses réserves de dollars (qui sont passés de 252 millions de dollars en 2013 à 328 million en 2015). De plus, certaines informations laissent supposer qu’elle est la banque qui achète le plus de dollar lors des interventions de la BRH. Pourquoi la BRH permet-elle à une banque de faire grimper le taux de change à volonté et lui permet d’acheter, en même temps, des dollars lors des interventions (avec forte position en plus)? Tous ces éléments ne permettent de conclure qu’une seule chose : il est possible que le système soit victime de mouvements spéculatifs. La passivité de la BRH sur cette possibilité est déconcertante.
Cet argument de spéculation n’a pas été soulevé pour la première fois. D’autres auteurs l’ont aussi évoqués dans le cas d’Haïti (cf. Roland Moisson: http://lenational.ht/et-si-lexplication-etait-la-speculation1-sur-le-dollar/ et http://lenational.ht/et-si-lexplication-etait-la-speculation-sur-le-dollar/). Cependant, les données disponibles ne permettent pas de confirmer clairement cette assertion. Si la BRH pouvait donner accès aux données relatives aux interventions, cela pourrait aider à déceler un mal qui serait en train de ronger l’économie haïtienne.
Les solutions
En reprenant les explications données précédemment, plusieurs pistes de solutions s’offrent à l’État haïtien, pour résorber la crise du change :
1)      À court terme, il faudrait que la Banque Centrale cible mieux les banques qui bénéficient de ses interventions. La solution idéale serait qu’elle ne vende qu’aux banques dont les réserves sont faibles ou qu’elle vende directement aux grands utilisateurs de dollars (les grandes entreprises). Ce mécanisme permettrait d’éviter la thésaurisation (constitution de nouveau stock) des dollars par les banques commerciales.
2)      À moyen terme, les autorités monétaires pourraient envisager de mettre en place une taxe à trois niveaux  sur les transactions de change (du type Tobi-Spahn[10]), pour empêcher les mouvements de spéculations:

-          Une faible taxe au premier niveau (afin d’éviter d’entraver les opérations productives), qui sera placée sur toutes les transactions sur le marché des changes, tant que ces transactions resteront dans les limites soutenables, convenues par les autorités monétaires.

-          Une taxe plus élevée au second niveau, en cas d’instabilité du taux de change, qui sera placée sur toutes les transactions sur le marché des changes, tant que les transactions resteront dans les limites soutenables et convenues par les autorités monétaires.

-          Une taxe deux fois plus élevée que la seconde, variable en fonction du montant de la transaction, qui sera placée sur toutes les transactions sur le marché des changes en cas d’instabilité du taux de change, dès que le montant de la transaction dépasse les limites soutenables et convenues par les autorités monétaires.
3)      À long terme, il faut envisager de financer les PMEs agricoles afin de réduire le montant des importations de produits alimentaires, et relancer les exportations de ces biens.






[1] Cette catégorie exclut les institutions bancaires.
[2] Les exportations,  les transferts de l’étranger, les Investissements directs étrangers, les appuis et dons
[3] Les importations, les transferts qui sont expédiés à l’étranger, et les flux net du secteur public en dollar
[4] Balance des paiements, BRH.
[5] Id.
[6] Disponible sur le site du Ministère de l’Économie et des Finances (MEF) : www.mef.gouv.ht
[7] Positions moyennes de réserves des banques, BRH
[8][8] BRH, Rapport Statistique 1ème  trimestre 2015, mars 2015
[9] Source : Service Portefeuille et change, BRH. Interventions BRH marché des changes.
La taxe Tobin, suggérée en 1972 par le lauréat du « prix Nobel d'économie » James Tobin, consiste en une taxation des transactions monétaires internationales afin de limiter la volatilité du taux de change. Par extension, le terme désigne aujourd'hui une taxe sur les transactions financières. Elle est aussi appelée par certains taxe Robin des bois.