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24 février 2016

TAUX DE CHANGE, TAUX DE CHANGE, ENCORE LE TAUX DE CHANGE…

Alors que certains croyaient que le marché des changes s’était stabilisé, que la Banque Centrale reprenait le contrôle (avec les dernières mesures sur les réserves obligatoires…), la valeur de la gourde a recommencé à dégringoler depuis quelques semaines. Aujourd’hui, le taux de change a presqu’atteint la barre des 61 gourdes pour 1 dollar. Cette nouvelle envolée du dollar pourrait être encore plus fatale (si le mot n’est pas trop fort), puisqu’elle a eu lieu dans un contexte de fête : qui est censé être une période de vaches grasses pour les entreprises. Les conséquences économico-sociales (manque à gagner pour l’État, dégradation conditions de vie) d’une instabilité du change en fin d’année sont donc susceptibles d’être plus importantes.
            Vu le poids des produits importés dans le panier de consommation des ménages (en  considérant particulièrement les produits alimentaires), la volatilité du taux de change contribuera certainement à la réduction du niveau de bien-être de la population, puisqu’elle aura des impacts significatifs sur les prix, et aussi sur la demande. En effet, avec 1 USD un Haïtien sera en mesure d’acheter de moins en moins de biens. Il disposera par conséquent de moins en moins de moyens de subvenir à ces besoins.
En considérant ces faits, si l’État haïtien a vraiment la volonté de garantir le pouvoir d’achat des ménages, il est plus que capital qu’il se penche sur la question du change. Il doit être en mesure non seulement d’identifier les facteurs qui provoquent la montée fulgurante du taux mais aussi y apporter des solutions durables. Sans ces actions, l’économie haïtienne continuera d’évoluer avec un couteau sous la gorge, tout simplement.
Ainsi, cet article se propose d’une part d’essayer d’identifier les causes de l’instabilité de change durant l’année 2015, d’autre part d’apporter des solutions de court, moyen et long terme. En considérant la période 2014-2015, il tentera de mettre en évidence les facteurs qui ont été à la base de la perte de valeur de la gourde, en prenant  en compte la situation macroéconomique et les trois catégories d’acteurs impliqués directement (les entreprises[1] et les ménages, l’État, les banques). Bien entendu, il étudiera aussi les facteurs servant à y remédier.
Situation macroéconomique
Les premiers éléments à analyser pour mieux cerner la réalité du marché des changes en Haïti sont notamment les variations de l’offre[2] et la demande de dollars[3] ainsi que la différence entre cette offre et cette demande. De 2014 à 2015, la quantité de dollars disponibles sur le marché des changes est passée de 4299.62 millions de dollars à 4552.94 millions[4] (augmentation de 253 millions de dollars) alors que la quantité de dollars demandée a augmenté de seulement 242 millions (en soustrayant les dollars générés par les placements à l’étranger). En d’autres termes, de 2014 à 2015, l’économie haïtienne a générée suffisamment (et même plus) de dollars supplémentaires pour couvrir l’augmentation de la demande de dollars pour cette même période. Cet état de fait se reflète aussi dans l’écart entre la quantité de dollars demandée et la quantité disponible, qui est passé de 516 millions en 2014, à moins de 20 millions[5] en 2015. En outre, la diminution de cet écart est constatable depuis 2011, où il était de 711.61 millions de dollars. Cela signifie que, de 2011 à 2015, le marché demande de moins en moins de dollars, comparé à ce qu’il offre aux utilisateurs de dollars. Par conséquent, il satisfait de plus en plus facilement les besoins en dollars.
En  se basant sur ces considérations, l’on se demande pourquoi y a-t-il eu une rareté des dollars et pourquoi la Banque Centrale a dû vendre près de 88 millions de dollars aux banques commerciales entre Octobre 2014 et Septembre 2015, et près de 25 millions d’Octobre à Novembre 2015. Pourquoi le taux de change a malgré tout continué à grimper ? En effet, la réduction de l’écart entre l’offre et la demande de dollars ainsi que les interventions de la BRH impliquent que le dollar devrait être de moins en moins rare. Par conséquent, son prix (reflétée à travers le taux de change) aurait probablement dû diminuer. Pourquoi avons-nous cependant constaté la situation inverse ?
L’une des autres tentatives d’explications de ce phénomène réside dans les dépenses de l’État. Il faut rappeler que si ces dépenses sont orientées vers l’extérieur, elles drainent beaucoup plus de dollars, que si elles soutiennent le marché local. En analysant le Tableau des Opérations Financières de l’État (TOFE)[6], l’on constate que depuis 2012, le poids des dépenses totales de l’État par rapport au PIB nominal a diminué substantiellement (passant de 35% du PIB à 22% en 2015). Que l’on considère les dépenses d’investissement ou les dépenses courantes, cette diminution est aussi constatable. De plus, en poussant l’analyse, l’on découvrira que les recettes courantes ont pesés 12.1% du PIB en 2014 (12.9% en 2012) alors qu’elles pèsent 13.3% en 2015. La combinaison de ces deux (2) aspects résulte en une diminution du déficit de l’État (le solde courant est passé de 0.5% du PIB en 2014 à 2% du PIB en 2015).
L’évolution de ces indicateurs suggère qu’il est difficile de déclarer, sans une analyse en profondeur, que les dépenses de l’État auraient provoqué une montée aussi brusque du change (cela à deux reprises), alors que leur poids (%PIB) a diminué considérablement. Tout en ne mettant pas de côté les possibles effets des élections, ces dernières ne peuvent pas entièrement expliquer l’augmentation rapide du taux de change, en 2015, puisqu’une partie considérable du financement pour les élections proviennent des bailleurs de fonds.
Si l’explication des dépenses publiques est assez bancale, il est important de rechercher l’explication dans le fonctionnement des banques, pour découvrir s’il y a des mouvements spéculatifs. Mais avant toute chose, il conviendrait d’analyser les réserves de changes des banques commerciales, c’est-à-dire la quantité de réserve de dollars détenus par chacune de ces banques. Cette analyse permettra de savoir quelles sont les banques qui sont les plus en mesure d’influencer le marché des changes et jouer sur le taux de change.
Les données disponibles nous permettent d’entrevoir un phénomène inquiétant. Depuis Octobre 2014, les réserves de change des deux (2) premières banques du système représentaient environ 60%[7] des réserves de change du système bancaire: 33% pour la 1ère banque, 26% pour la 2ème.  En d’autres termes, sur chaque 100 dollars US de réserves, la 1ère banque en possède 33 et la 2ème en possède 26. Cela signifie, que ces banques possèdent déjà un stock de dollar assez important, qui leur permettrait de jouer si elles le voulaient sur le le taux de change. Qui pis est, depuis 2014, les gains de change de ces deux (2) banques représentent  environ 56%[8] des gains de change de toutes les banques commerciales (33% pour la 1ère banque). Ce sont donc ces banques qui profitent le plus des transactions d’achat et de vente de dollars, et qui profiteraient le plus d’une augmentation du taux de change.
Deux autres remarques peuvent être faites. La première est plutôt une suite d’interrogation. Lors des interventions de la BRH (vente ou achat de dollars), quelles sont les banques qui achètent le plus ? Pourquoi la BRH ne permet pas au grand public d’avoir accès à ces informations? Pourquoi dans un contexte de pression sur le change, la BRH vend des dollars aux deux (2) banques citées ci-dessus ? À tire d’illustration, entre Octobre 2014 et juillet 2015, la BRH a vendu près de 68 millions de dollars aux banques, pour contenir le taux de change. Paradoxalement, les banques commerciales ont retiré de la circulation, près de 63 millions de dollars (à travers les opérations d’achat et de vente de dollars).[9] Ceci laisse supposer que les banques préférèrent stocker les dollars au lieu de les mettre en circulation. Alors, pourquoi entre octobre et novembre 2015, la BRH a continué à vendre des dollars (24 millions) en utilisant la même méthode, sans se préoccuper de cette situation ?
Le deuxième fait marquant concerne la 1ère banque du système. Comme indiqué antérieurement, à elle-seule, elle détient 33% des réserves de dollars du système. L’un des faits constatés avec cette banque, c’est qu’elle affiche généralement des taux de change plus élevés que toutes les autres banques. Depuis 2014, elle a toujours été la première banque à relever son taux (1 ou 2 semaines après, les autres banques la suivent), ceci malgré le poids de ses réserves de dollars (qui sont passés de 252 millions de dollars en 2013 à 328 million en 2015). De plus, certaines informations laissent supposer qu’elle est la banque qui achète le plus de dollar lors des interventions de la BRH. Pourquoi la BRH permet-elle à une banque de faire grimper le taux de change à volonté et lui permet d’acheter, en même temps, des dollars lors des interventions (avec forte position en plus)? Tous ces éléments ne permettent de conclure qu’une seule chose : il est possible que le système soit victime de mouvements spéculatifs. La passivité de la BRH sur cette possibilité est déconcertante.
Cet argument de spéculation n’a pas été soulevé pour la première fois. D’autres auteurs l’ont aussi évoqués dans le cas d’Haïti (cf. Roland Moisson: http://lenational.ht/et-si-lexplication-etait-la-speculation1-sur-le-dollar/ et http://lenational.ht/et-si-lexplication-etait-la-speculation-sur-le-dollar/). Cependant, les données disponibles ne permettent pas de confirmer clairement cette assertion. Si la BRH pouvait donner accès aux données relatives aux interventions, cela pourrait aider à déceler un mal qui serait en train de ronger l’économie haïtienne.
Les solutions
En reprenant les explications données précédemment, plusieurs pistes de solutions s’offrent à l’État haïtien, pour résorber la crise du change :
1)      À court terme, il faudrait que la Banque Centrale cible mieux les banques qui bénéficient de ses interventions. La solution idéale serait qu’elle ne vende qu’aux banques dont les réserves sont faibles ou qu’elle vende directement aux grands utilisateurs de dollars (les grandes entreprises). Ce mécanisme permettrait d’éviter la thésaurisation (constitution de nouveau stock) des dollars par les banques commerciales.
2)      À moyen terme, les autorités monétaires pourraient envisager de mettre en place une taxe à trois niveaux  sur les transactions de change (du type Tobi-Spahn[10]), pour empêcher les mouvements de spéculations:

-          Une faible taxe au premier niveau (afin d’éviter d’entraver les opérations productives), qui sera placée sur toutes les transactions sur le marché des changes, tant que ces transactions resteront dans les limites soutenables, convenues par les autorités monétaires.

-          Une taxe plus élevée au second niveau, en cas d’instabilité du taux de change, qui sera placée sur toutes les transactions sur le marché des changes, tant que les transactions resteront dans les limites soutenables et convenues par les autorités monétaires.

-          Une taxe deux fois plus élevée que la seconde, variable en fonction du montant de la transaction, qui sera placée sur toutes les transactions sur le marché des changes en cas d’instabilité du taux de change, dès que le montant de la transaction dépasse les limites soutenables et convenues par les autorités monétaires.
3)      À long terme, il faut envisager de financer les PMEs agricoles afin de réduire le montant des importations de produits alimentaires, et relancer les exportations de ces biens.






[1] Cette catégorie exclut les institutions bancaires.
[2] Les exportations,  les transferts de l’étranger, les Investissements directs étrangers, les appuis et dons
[3] Les importations, les transferts qui sont expédiés à l’étranger, et les flux net du secteur public en dollar
[4] Balance des paiements, BRH.
[5] Id.
[6] Disponible sur le site du Ministère de l’Économie et des Finances (MEF) : www.mef.gouv.ht
[7] Positions moyennes de réserves des banques, BRH
[8][8] BRH, Rapport Statistique 1ème  trimestre 2015, mars 2015
[9] Source : Service Portefeuille et change, BRH. Interventions BRH marché des changes.
La taxe Tobin, suggérée en 1972 par le lauréat du « prix Nobel d'économie » James Tobin, consiste en une taxation des transactions monétaires internationales afin de limiter la volatilité du taux de change. Par extension, le terme désigne aujourd'hui une taxe sur les transactions financières. Elle est aussi appelée par certains taxe Robin des bois.


13 février 2016

L’intelligence d’affaires, l’art de prendre des décisions basées sur des évidences

Domaine particulièrement récent dans le monde scientifique, l’intelligence d’affaires, Business Intelligence (BI) en anglais, est peu connu en Haïti et pourtant, son importance ne cesse de s'accroître à travers le monde.
En fait, c’est quoi l’intelligence d’affaires ?
Pour Michel Dionne, directeur du programme de certification en ventes-marketing de l’université Laval, c’est la transformation des données en information pouvant servir à la prise de décision.
Selon Philippe Tores, le président d’une entreprise experte en gestion de l’information, c’est l'ensemble des processus et des technologies qui permettent à la direction et aux cadres d'une entreprise de prendre des décisions plus éclairées.
Synthétisant les différentes définitions, l’intelligence d’affaires peut être vue comme étant l’ensemble des techniques permettant de tirer des informations utiles et fiables à partir de l’ensemble des systèmes d’information (SI) d’une entreprise devant faciliter une prise de décision rationnelle visant à améliorer les différentes stratégies de l’entreprise.
Certains chefs d’entreprise se disent qu’ils n’ont pas de systèmes d’information, surtout parce qu’ils le voient comme un processus informatisé et complexe. En réalité, chaque entreprise publique ou privée en possède.
Le système d’information concerne les processus de collecte de données de l’entreprise. Les processus de collecte de données sur les clients, les productions, les distributions et les ventes font partie intégrante de ces systèmes qui peuvent être totalement informatisés, partiellement informatisés ou non-informatisés.
L’intelligence d’affaires permet donc d’utiliser les données provenant de toutes les sources existantes dans l’entreprise pour en tirer des informations pertinentes afin d’aider les gestionnaires à prendre des décisions basées sur des évidences pour le présent et l’avenir de l’entreprise.
En quoi, est-ce important d’utiliser l’intelligence d’affaires ?
Les décisions se prennent à chaque instant dans l’entreprise. Faut-il augmenter sa production dans une période donnée et la diminuer le reste de l’année ? Faut-il accorder plus de crédit à ce client qui en fait la demande ? A quelle époque faut-il avoir plus de caissiers pour éviter les longues files d’attente ? Que faire pour retenir et fidéliser les clients ? Tant de questions auxquelles le gestionnaire doit répondre.
Prendre ces décisions dans l’ignorance peut nuire à l’avenir de l’entreprise. Les prendre avec des informations incomplètes est tout aussi néfaste pour la santé de l’entreprise. L’intelligence d’affaires permet en ce sens de prendre ces décisions avec la plus grande précision possible. Ce qui augmentera les profits de l’entreprise et la placera en bonne position par rapport à la concurrence.
A qui s’adresse ce domaine ?
Toutes les entreprises publiques et privées ont besoin de l’intelligence d’affaires pour aider à la prise de décisions.
Que ce soient les multinationales, les grandes entreprises, les moyennes entreprises ou les PME, tous les types d’entreprises indépendamment de leurs tailles ont besoin de prendre des décisions. Ils ont donc besoin de l’intelligence d’affaires.
Pourquoi si peu de bruit autour d’un secteur aussi important ?
Vu l’avantage qu’offre l’utilisation de l’intelligence d’affaires dans une entreprise, ne vous étonnez pas qu’un concurrent ne vous dévoile pas ce qui fait de son entreprise la meilleure sur le marché indépendamment des efforts que vous et les autres concurrents déploient.
L’information est le pouvoir. L’information ouvre la porte aux stratégies visant à être toujours plus compétitif sur le marché. Aucune entreprise ne partagera son secret avec ses concurrents.
Qui l’utilise en Haïti ?
Il n’y a pas beaucoup d’entreprises qui l’utilisent en Haïti. La plupart des entreprises qui ont des analystes, ils ne sont pas assez formés pour jouer le rôle d’analyste en intelligence d’affaires. Ils analysent souvent des données provenant d’un seul système d’information à la fois. Ce qui ne permet pas de croiser toutes les données collectées par l’entreprise.
Le leader du secteur de la téléphonie en Haïti et le leader du secteur bancaire utilisent l’intelligence d’affaires pour prendre les décisions stratégiques. A vous de juger si l’intelligence d’affaires ne leur procure pas un certain avantage sur la concurrence !
A quel prix ?
Evidemment, les entrepreneurs avisés se demandent combien cela coûtera à leur entreprise d’utiliser l’intelligence d’affaires dans leurs processus de prise de décision.
Une grande entreprise peut certainement s’offrir les services d’un bon analyste d’intelligence d’affaires. Mais cela peut coûter effectivement beaucoup trop à une PME d’avoir le service d’un analyste d’affaires fonctionnant à temps plein.


Pentagone Consulting Group (PCG) se fera le plaisir de vous épauler, en ce sens, dans votre processus de prise de décision en jouant le rôle d’analyste en intelligence d’affaires à vos côtés à un prix négociable. N’hésitez pas à nous contacter !

Auteur: Pierre Philippe Wilson REGISTE

7 février 2016

Les fondements de la débâcle monétaire en Haïti. Comprendre pour agir.

On vit au temps du verbalisme creux, au temps des débats conjoncturels vides et opportunistes. Si élite intellectuelle il y en a dans ce pays, elle n’existe d’une part, que pour faire le faux constat de la déchéance d’une société allant tout droit vers sa perte, d’autre part pour pointer du doigt le décrépissage d’une économie se portant déjà trop mal. Les problèmes ne sont posées que lorsque la situation s’aggrave et ne sont analysés qu’à la dernière heure quand la conjoncture l’oblige. Comme la nécessité de reporter ces élections du 24 janvier n’a été envisagée qu’aux derniers instants alors que de nombreuses casses pourraient être évitées.  Le taux d’inflation en moins d’un an a doublé (5.7% à 11%) alors que le dollar américain s’échange actuellement à 59.87 HTG[i] en moyenne. Jusqu’ici vu qu’apparemment il n’y a pas feu, personne ne semble vouloir sonner l’alerte et chercher les causes profondes de cette déroute économique dont la montée vertigineuse du dollar n’est que la pointe de l’iceberg. Même le fait de voir chaque matin plus de 6 millions des Haïtiens prenant la direction de leur pénitence en quête d’un peu plus de 2 USD par jour (2.42 USD/jour, Source www.banquemondiale.org) ne révolte personne.  Les pensées sont tournées vers des festivités fantômes (le carnaval) qui comme chaque année auront lieu malgré tout.
Serait-on plongé dans une léthargie ?
Ce texte ne se confinera pas que dans la description hypocrite d’une réalité ahurissante ; c’est plutôt pour dire « OTAN[ii]». Pour prêter voix aux sans voix, à la masse qui croupit dans une misère sévissant sans pitié, à ceux qui endurent cette situation socio-économique sans merci où  «  se mal sele k’ap foule ».
Cette situation si elle doit être freinée ce ne sera pas que par patriotisme mais juste surtout par un réveil humaniste, elle doit d’abord être comprise et décryptée avec les outils économiques adéquats. Nous ne voulons pas que crier « Oh feu ! », mais nous voudrions pointer du doigt la déficience chronique de morale et de civisme qui alimentent les décideurs et vous aussi citoyens dits conséquents qui méprisez l’avenir de ce pays, que dis-je votre avenir et celui de vos enfants.
Nous entamons ce triste état des lieux avec ces affirmations de M. Fritz Alphonse Jean qui, lors d’un entretien avec le quotidien Le Nouvelliste affirmait que « L’exercice fiscal 2013-2014 s’est achevé avec un déficit budgétaire de 11 milliards de gourdes », un déficit qui aura atteint les 15 milliards de gourdes sur l’exercice 2014-2015 selon les dires du Ministre de l’Economie et des Finances le 12 mars 2015 (www.signalfm.com) . Une augmentation de 36,26% en une année ! On doit se demander quelle est la finalité d’une telle augmentation si l’emploi reste à son niveau macabre et la production nationale à son niveau le plus bas et quelles étaient les mesures prises sur la période pour résorber l’expansion de ce déficit qui continue de financer en fait d’inutiles dépenses. Mais nous nous sommes promis de ne pas se confiner dans cette dite logique qui voudrait « ke n’ap rele bare lè bourik fin sal lakou » et  puisque nous aimons tant affirmer à tort que diriger c’est prévoir ici, nous devons justement se questionner sur les décisions en termes de politiques économiques et budgétaires prises bien avant l’année fiscale en question.  En effet, de 2012-2013 à 2013-2014 les dépenses de fonctionnement de l’État sont passées de 15 milliards à 35 milliards de gourdes. Pendant que certaines obligations productives en terme d’infrastructure demeurent négligées, pendant que mous attendons encore les retombées positives des voyages superflues, l’utilisation puérile des deniers publics inquiètent. Et sans vouloir aller jusqu’au bout de l’idée souffrez que j’affirme cette gradation logique d’idée : gestion imprudente des dépenses publiques dans le cas typique de l’économie haïtienne tournée vers l’importation à outrance, vous conduit à tous les coups au financement monétaire du déficit  qui lui-même conduit à l’augmentation du taux de change pour conclure à l’inflation. Un chaleureux cocktail auquel l’état haïtien s’est habitué exercice après exercice.
Les six derniers mois de l’année 2015 on s’est focalisé sur des élections organisées en majeure partie aux frais de l’international, pendant qu’on croupissait sous le poids du rapport du dollar par rapport à la gourde, un fait qu’on constatait comme spontané alors que les vraies et profondes raisons sont tributaires des orientations que nos dirigeants donnent à notre avenir économique durant les exercices précédents. Au cours de l’exercice 2014-2015 la BRH semblait admettre l’imprudence dans les dépenses publiques de l’administration Martelly-Lamothe (www.lenouveliste.com, l’économie haïtienne au ralenti en début 2015, 6 avril 2015). Et que cela a eu des impacts négatifs sur l’équilibre budgétaire. Imprudence qui explique amplement ce que nous vivons aujourd’hui et de laquelle on peut déjà commencer à comptabiliser ce que nos petits-fils auront à payer. Mais n’est- elle -la BRH- pas là pour prévoir et contrer l’imprudence des gouvernements? Ou plutôt pour la constater juste après coup ?
 Il y a six mois de cela, lors de la 2e édition des présentations d’Echo-Haïti à l’hôtel Best Western à Pétion Ville, Marc Alain Boucicot et Etzer Emile disaient de la crise de la gourde qu’elle n’est pas monétaire et que les mesures de la BRH risquaient d’étouffer l’économie. A titre de rappel, notons que le taux de change est passé de 36.28gdes en 2007 (mai et juin 2007, source : www.reliefweb.int , bulletin de conjoncture No 15, avril-juin 2015)  à  56.40 fin 2015 soit une augmentation de 55.45% (www.lenouveliste.com) en presqu’une décennie, en huit (8) ans plus précisément. Mais  quid des mesures prises par la BRH ?
-          augmentation des réserves obligatoires des banques commerciales de 44%. (www.lenouveliste.com)
Notons que la théorie économique stipule que ces mesures devraient conduire  à la diminution du retrait et crédit, donc ce qui aura ralenti considérablement la création monétaire donc qui mettrait une vraie épine au pied de l’investissement privée déjà quasi inexistant.
-           taux sur les bons de la BRH passe de 5% en septembre 2014 à 16% en juin 2015.
Mesure répétée, qui combinée à celle précitée décrète donc la mort du crédit.
Le problème est devenu culturel et endémique. Pendant qu’on continue à prendre des mesures dites réfléchies qui ne font qu’empirer le drame économique que nous vivons.
Aujourd’hui le taux de change par rapport au dollar dépasse les 60 HTG, un problème qui au regard des constats qu’on vient d’évoquer est loin d’être monétaire mais dont les conséquences affecteront inéluctablement notre système monétaire géré de manière irresponsable par ceux qui en ont la mission. Car voyant cette forte inflation qui sévit dans notre économie, on se demande aujourd’hui si on ne vit pas cette situation décrit par Friedrich Hayek où les agents « fuient » devant la monnaie légale au profit de monnaies étrangères, le dollar dans le cas d’Haïti.
Voici donc où on s’est rendu. Il n’y a point de fatalité dans notre quotidien, nos désagréments sont les résultats de nos inconséquences en tant que nation. Il serait désormais intelligent de penser à l’héritage que nous léguons à cette génération qui sera issue du système de « lekòl gratis » dont la carence en conscience patriotique et éthique nationale est déjà à prévoir. Mais il serait encore plus sage si la nation se lève et exige des comptes sur la gestion de ses intérêts. Qu’elle n’attend plus les grands débats conjoncturels pour comprendre son présent, nous devons l’apprendre à demander et à voir clair dans les rapports de ceux qui décident, à questionner régulièrement son passé à la lumière des causes de sa misère et non qu’en constatant les conséquences, afin qu’elle puisse prendre part aux dialogues sur son futur et décider de par elle-même pour son avenir. Car nous aurons beau fermé l’œil et joué les âmes léthargiques mais le constat que nous vivons un déboire quotidien et que notre économie, se mourant à petit feu, souffre de cette tumeur bénigne en stade terminal  s’imposera à nous tôt ou tard.

Auteur: Nathanael DELVA


[i] (Moyenne arithmétique de : 59.10 HTG BNC, 59.60 HTG SOGEBANK, 60.90 HTG UNIBANK ; taux affichés sur les sites de ces banques le 03/02/2016)
[ii] Otan: Mot créole voulant dire assez en français.