On vit au temps du verbalisme creux, au temps des
débats conjoncturels vides et opportunistes. Si élite intellectuelle il y en a
dans ce pays, elle n’existe d’une part, que pour faire le faux constat de la
déchéance d’une société allant tout droit vers sa perte, d’autre part pour
pointer du doigt le décrépissage d’une économie se portant déjà trop mal. Les
problèmes ne sont posées que lorsque la situation s’aggrave et ne sont analysés
qu’à la dernière heure quand la conjoncture l’oblige. Comme la nécessité
de reporter ces élections du 24 janvier n’a été envisagée qu’aux derniers
instants alors que de nombreuses casses pourraient être évitées. Le taux d’inflation en moins d’un an a doublé (5.7%
à 11%) alors que le dollar américain s’échange actuellement à 59.87 HTG[i] en
moyenne. Jusqu’ici vu qu’apparemment il n’y a pas feu, personne ne semble
vouloir sonner l’alerte et chercher les causes profondes de cette déroute
économique dont la montée vertigineuse du dollar n’est que la pointe de
l’iceberg. Même le fait de voir chaque matin plus de 6 millions des Haïtiens prenant
la direction de leur pénitence en quête d’un peu plus de 2 USD par jour (2.42
USD/jour, Source www.banquemondiale.org) ne révolte personne.
Les pensées sont tournées vers des festivités fantômes (le carnaval) qui
comme chaque année auront lieu malgré tout.
Serait-on plongé dans une léthargie ?
Ce texte ne se confinera pas que dans la description
hypocrite d’une réalité ahurissante ; c’est plutôt pour dire « OTAN[ii]».
Pour prêter voix aux sans voix, à la masse qui croupit dans une misère
sévissant sans pitié, à ceux qui endurent cette situation socio-économique sans
merci où « se mal sele k’ap
foule ».
Cette situation si elle doit être freinée ce ne sera
pas que par patriotisme mais juste surtout par un réveil humaniste, elle doit
d’abord être comprise et décryptée avec les outils économiques adéquats. Nous
ne voulons pas que crier « Oh feu ! », mais nous voudrions
pointer du doigt la déficience chronique de morale et de civisme qui alimentent
les décideurs et vous aussi citoyens dits conséquents qui méprisez l’avenir de
ce pays, que dis-je votre avenir et celui de vos enfants.
Nous entamons ce triste état des lieux avec ces
affirmations de M. Fritz Alphonse Jean qui, lors d’un entretien avec le
quotidien Le Nouvelliste affirmait que « L’exercice fiscal 2013-2014 s’est
achevé avec un déficit budgétaire de 11 milliards de gourdes », un déficit
qui aura atteint les 15 milliards de gourdes sur l’exercice 2014-2015 selon les
dires du Ministre de l’Economie et des Finances le 12 mars 2015 (www.signalfm.com) . Une augmentation de 36,26% en une année ! On doit se demander
quelle est la finalité d’une telle augmentation si l’emploi reste à son niveau
macabre et la production nationale à son niveau le plus bas et quelles étaient
les mesures prises sur la période
pour résorber l’expansion de ce déficit qui continue de financer en fait
d’inutiles dépenses. Mais nous nous sommes promis de ne pas se confiner dans
cette dite logique qui voudrait « ke n’ap rele bare lè bourik fin sal
lakou » et puisque nous aimons tant
affirmer à tort que diriger c’est prévoir ici, nous devons justement se
questionner sur les décisions en termes de politiques économiques et
budgétaires prises bien avant l’année fiscale en question. En effet, de 2012-2013 à 2013-2014 les
dépenses de fonctionnement de l’État sont passées de 15 milliards à 35
milliards de gourdes. Pendant que certaines obligations productives en terme
d’infrastructure demeurent négligées, pendant que mous attendons encore les
retombées positives des voyages superflues, l’utilisation puérile des deniers
publics inquiètent. Et sans vouloir aller jusqu’au bout de l’idée souffrez que
j’affirme cette gradation logique d’idée : gestion imprudente des dépenses
publiques dans le cas typique de l’économie haïtienne tournée vers
l’importation à outrance, vous conduit à tous les coups au financement
monétaire du déficit qui lui-même
conduit à l’augmentation du taux de change pour conclure à l’inflation. Un
chaleureux cocktail auquel l’état haïtien s’est habitué exercice après
exercice.
Les six derniers mois de l’année 2015 on s’est
focalisé sur des élections organisées en majeure partie aux frais de
l’international, pendant qu’on croupissait sous le poids du rapport du dollar
par rapport à la gourde, un fait qu’on constatait comme spontané alors que les
vraies et profondes raisons sont tributaires des orientations que nos
dirigeants donnent à notre avenir économique durant les exercices précédents.
Au cours de l’exercice 2014-2015 la BRH semblait admettre l’imprudence dans les
dépenses publiques de l’administration Martelly-Lamothe (www.lenouveliste.com, l’économie haïtienne au ralenti en début 2015, 6
avril 2015). Et que cela a eu des impacts négatifs sur l’équilibre budgétaire.
Imprudence qui explique amplement ce que nous vivons aujourd’hui et de laquelle
on peut déjà commencer à comptabiliser ce que nos petits-fils auront à payer.
Mais n’est- elle -la BRH- pas là pour prévoir et contrer l’imprudence des
gouvernements? Ou plutôt pour la constater juste après coup ?
Il y a six mois
de cela, lors de la 2e édition des présentations d’Echo-Haïti à
l’hôtel Best Western à Pétion Ville, Marc Alain Boucicot et Etzer Emile
disaient de la crise de la gourde qu’elle n’est pas monétaire et que les
mesures de la BRH risquaient d’étouffer l’économie. A titre de rappel, notons
que le taux de change est passé de 36.28gdes en 2007 (mai et juin 2007,
source : www.reliefweb.int , bulletin de conjoncture No 15, avril-juin 2015) à 56.40
fin 2015 soit une augmentation de 55.45% (www.lenouveliste.com) en presqu’une décennie, en huit (8) ans plus
précisément. Mais quid des mesures
prises par la BRH ?
Notons que la théorie économique stipule que ces mesures
devraient conduire à la diminution du
retrait et crédit, donc ce qui aura ralenti considérablement la création
monétaire donc qui mettrait une vraie épine au pied de l’investissement privée
déjà quasi inexistant.
-
taux sur les bons de la BRH passe de 5% en
septembre 2014 à 16% en juin 2015.
Mesure répétée, qui combinée à celle précitée décrète
donc la mort du crédit.
Le problème est devenu culturel et endémique. Pendant
qu’on continue à prendre des mesures dites réfléchies qui ne font qu’empirer le
drame économique que nous vivons.
Aujourd’hui le taux de change par rapport au dollar
dépasse les 60 HTG, un problème qui au regard des constats qu’on vient
d’évoquer est loin d’être monétaire mais dont les conséquences affecteront
inéluctablement notre système monétaire géré de manière irresponsable par ceux
qui en ont la mission. Car voyant cette forte inflation qui sévit dans notre
économie, on se demande aujourd’hui si on ne vit pas cette situation décrit par
Friedrich Hayek où les agents « fuient » devant
la monnaie légale au profit de monnaies étrangères, le dollar dans le cas d’Haïti.
Voici donc où on s’est rendu. Il n’y a point de
fatalité dans notre quotidien, nos désagréments sont les résultats de nos
inconséquences en tant que nation. Il serait désormais intelligent de penser à
l’héritage que nous léguons à cette génération qui sera issue du système de
« lekòl gratis » dont la carence en conscience patriotique et éthique
nationale est déjà à prévoir. Mais il serait encore plus sage si la nation se
lève et exige des comptes sur la gestion de ses intérêts. Qu’elle n’attend plus
les grands débats conjoncturels pour comprendre son présent, nous devons
l’apprendre à demander et à voir clair dans les rapports de ceux qui
décident, à questionner régulièrement son passé à la lumière des causes de sa misère et non qu’en constatant les
conséquences, afin qu’elle puisse prendre part aux dialogues sur son futur et
décider de par elle-même pour son avenir. Car nous aurons beau fermé l’œil et joué les âmes
léthargiques mais le constat que nous vivons un déboire quotidien et que notre
économie, se mourant à petit feu, souffre de cette tumeur bénigne en stade
terminal s’imposera à nous tôt ou tard.
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